Mission: l'origine de la vie.
- Sophie Tholet

- 1 mai 2024
- 4 min de lecture

La mise en orbite a commencé, je flotte dans cette immense obscurité. Comme prévu, les éléments de mon vaisseau s'assemblent petit à petit, à chaque couche d'atmosphère, une pièce vient s'arrimer.
Après une rude sélection, me voici donc en mission. Je suis chargée d'étudier et d'expérimenter l'origine de la vie. Par où commencer? Tout d'abord, il y a le néant. Ensuite, ce big bang, cette collision entre plusieurs matières qui finit par nous propulser à l'infini tout en générant la vie. La théorie semble déjà grossièrement simplifiée pour dissimuler ses lacunes, ses trous noirs. Jamais personne n'est parvenu à la prouver, encore moins de pouvoir faire des expériences dessus. Pour le moment, nous avons simplement ce son d'explosion... un peu léger.
Jamais personne n'aura été aussi loin, il s'agit pour moi de l'expérience d'une vie. Je sais pertinemment que je ne reviendrai pas. Afin de tenter le tout pour le tout, je fixe un tube dirigé vers l'extérieur, peut-être arriverai-je à prendre certains échantillons. Je ne parviendrai pas à me procurer de la matière noire mais pourquoi ne pas tester? J'ai la surprise de découvrir une énergie invisible qui me renforce jour après jour. Je découvre alors cette sensation d'autonomie, d'autarcie.
Malgré la solitude de ce long périple, je trouve du réconfort dans les cliquetis de mon vaisseau. J'ai beau ouvrir les yeux, je ne vois que du noir avec de-ci de-là quelques petites étoiles au loin. Si l'origine de la vie est aussi mort, son mystère est encore plus fort!
Je capte parfois des sons venus d’ailleurs, peut-être des voix. Involontairement, je pense au mythe de la tour de Babel. Et si cette langue unique était encore là? Dans le berceau de l'univers?
Soudain une secousse se fait ressentir. Je consulte mes radars: rien à l'horizon. Peut-être un problème technique? Les minutes s'écoulent et plus rien ne se passe. Je reprends alors l'analyse de ses sons, ses voix semblent empruntes d'émotions. Une nouvelle secousse, plus forte. Toujours rien sur mes écrans.
Une autre. Mon rythme cardiaque s’accélère, je me sens poussée, ballotée dans cette immensité. Je tente de laisser un message à la radio, malheureusement, la connexion est perdue. Je agrippe à ce que je peux en espérant que ce séisme cosmique passe.
Est-ce une tempête solaire? Un vent encore inconnu? Une pluie de météorites gazeuses?
Les secousses se font de plus en plus intenses. Je perds les sensations, j'ai l'impression de changer de dimension. Les parois de mon vaisseau s'écrasent sur elles-mêmes. J'entends hurler ou serait-ce ma voix? Je prie pour que tout ceci ne soit qu'un cauchemar, je vais sûrement me réveiller en sueur et rien de tout cela n'aura eu lieu.
Tout à coup, je suis aspirée dans un trou noir, au fil des heures, je perçois une lumière vive. Je ne peux m'empêcher de fermer les yeux. Un froid glacial me transperce. On m'extirpe de mon engin. Des extra-terrestres? Je n'ose prendre ma respiration ne sachant pas si l'air m'est respirable. Elles sont cinq créatures géantes. Soudain, on m'assène une tape dans le dos, j'ouvre la bouche et de l'air s'immisce dans mes poumons. J'hurle de douleur, tous mes muscles se tendent. Ça y est, c'est la fin! Pourtant... je vis toujours.
Suis-je en train de respirer un gaz anesthésiant? Je ressens tout à coup un énorme poids sur mon corps, je suis complètement sonnée. Mes paupières sont lourdes, je tente de résister.
Je. Veux. Voir. Ce. Que...
Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, tout mon corps se réveille. Toutes mes sensations sont décuplées, exacerbées: la faim, le froid, la douleur physique, la vision trouble. Ils m'ont sûrement opérée quelque part. Tentant de palper mon corps à la recherche d'une preuve, j'attire l'attention d'une de ces créatures. Je me défends, en vain. Me voilà prise au piège entre ses longs doigts. Ils me scrutent et j'en fais de même. Je n'avais jamais vu de créatures de ce genre, bien loin des clichés de notre mémoire collective. Je ne trouve néanmoins pas de mots pour les décrire. Aussi étrange que cela puisse paraître, ils semblent s'attacher à moi. Ils me manipulent avec la plus grande précaution. J'espère qu'ils ne me prennent pas pour leur nouveau toutou! Une autre créature me prend dans ses bras. Celle-ci semble plus faible. Est-elle malade? Je la reconsidère et il me semble qu'elle est plus pâle, qu'elle semble plus fatiguée que les autres. Je sens qu'elle est à bout de force. Je m'imagine le pire, suis-je une offrande pour la ramener à la vie? Je me remets à hurler, j'implore qu'on me laisse la vie sauve. Cette chose me serre alors contre elle. Pas de doute, son cœur bat plus lentement. Moitié moins vite que le mien. Des créatures à sang froid?
Elle semble répéter les mêmes sons encore et encore. Je me concentre pour tenter de les décrypter.
"uu, e ui a an, e ui à".
"Chuuut, je ui a man, je ui là ant".
"Chuuut, je suis ta maman, je suis là maintenant".
Sophie Tholet


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